“J’aime mieux défendre le faible que le fort” abonné

Ténor du barreau, Henri Leclerc est un avocat qui a plaidé de grandes affaires pénales. Il est aussi un militant des droits de l’homme et des droits sociaux. Avocat de la CFDT, il a défendu des salariés, mais aussi Edmond Maire et François Chérèque. Il publie aujourd’hui ses Mémoires : La Parole et l’Action.

Par La rédaction— Publié le 13/12/2017 à 10h25

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Vous avez 11 ans lorsque, le 15 octobre 1945, Pierre Laval est exécuté dans des conditions indignes. Est-ce la première fois que vous ressentez l’injustice ?

Oui, les procès de l’épuration n’étaient pas un modèle de justice et les droits de la défense étaient souvent bafoués. Au procès de Pierre Laval, des jurés insultaient l’accusé ! Mon père était un homme de gauche. Mes parents écoutaient Radio Londres pendant la guerre et ils étaient très hostiles au régime de Vichy. Mais mon père avait le sens de la justice et il était viscéralement contre la peine de mort, ce qui n’était pas si fréquent à cette époque. La manière dont on a jugé Laval, sa tentative de suicide puis son exécution l’avaient choqué. L’enfant que j’étais a été très impressionné par cette colère paternelle. J’ai compris que la justice était autre chose que la vengeance. La révolte de mon père a été sans doute un moment fondateur sur ce que pourrait être l’idée de justice.

Vous commencez votre vie militante par le Comité d’action syndicale à la faculté de droit contre la Corpo (Association corporative des étudiants en droit) de Jean-Marie Le Pen. Était-ce déjà une approche syndicale de l’action ? 

Pas tout à fait. Ma vie politique a commencé, en 1952, par deux rencontres. La première avec Michel Rocard qui avait alors 22 ans et moi dix huit. J’étais fasciné. La deuxième, c’était une altercation physique avec Jean-Marie Le Pen qui dirigeait alors La Corpo de droit. Je milite évidemment contre l’extrême droite, mais je m’intéresse aussi à des actions concrètes pour aider les étudiants. Nous avons agi concrètement pour éditer des polycopiés de cours plus accessibles aux étudiants démunis. Déjà l’action et la parole… Jamais je ne me suis contenté de discours pas même des miens.

À 20 ans, en 1954, avec vos amis d’alors, vous adhérez au PCF. Nous sommes en pleine période stalinienne. Pourquoi ce choix ?

J’y suis resté dix-huit mois… Pour comprendre cet engagement, il faut se replacer dans le contexte. Le Parti communiste était le parti de la Résistance, des fusillés, celui qui pouvait promettre un monde meilleur. J’avais éprouvé une vive sympathie pour l’appel de l’Abbé Pierre mais il n’offrait pas une vision globale. J’étais conscient que le PC était stalinien mais je passai outre car je voulais être avec la classe ouvrière. Je quitte le PC avant même l’invasion de la Hongrie, que j’ai condamnée en disant publiquement que je regrettais que les communistes français n’en fassent pas autant. J’ai commencé alors à me porter plus vers les causes de défense des droits, plutôt que vers la prise du pouvoir.

Pourtant 1954, c’était aussi l’espoir que représentait Pierre Mendès France…

Oui mais je n’ai compris la dimension de Mendès que plus tard, lorsqu’il claqua la porte du gouvernement de Guy Mollet.

La rencontre avec Albert Naud a été essentielle dans vos choix. Il était la défense mais aussi un homme classé à droite….

Tous mes amis me disaient de ne pas aller chez Albert Naud parce qu’il était de droite. Quand on me propose de travailler pour Naud, il était déjà un grand avocat. Ancien résistant, gaulliste, arrêté en 1941, c’était un homme de conviction. Et puis, Naud militait contre la peine de mort et cela nous a beaucoup rapprochés. Il avait, dès 1927, manifesté contre l’exécution de Sacco et Vanzetti. Albert Naud a été un maître pour moi. Il m’a appris mon métier sans jamais me faire la leçon.

Déjà avocat, vous êtes rappelé en Algérie pour vingt-huit mois pendant la guerre. Est-ce, comme pour nombre de militants de votre génération et pour la CFTC d’alors, une prise de conscience majeure ?

Déjà avant mon départ en Algérie, j’étais favorable à l’indépendance. Je défendais indifféremment les militants du Mouvement national algérien et ceux du Front de libération nationale (FLN), qui s’opposaient parfois violemment. Avec mes camarades, nous combattions la torture et les exactions. Nous multiplions les réunions ; les conférences contre cette guerre. Je suis parti après avoir suivi une formation pour être officier. Là-bas, je crois n’avoir rien fait d’indigne. Et même, lors du putsch d’avril 1961, j’étais concrètement et fermement déterminé, comme la majorité du contingent d’ailleurs, à faire échouer les généraux.

À quelle époque avez-vous noué des contacts avec la CFTC puis la CFDT ?

Dès 1955, lorsque je suis devenu avocat, j’ai rencontré la CFTC. À cette époque, mon ami Hubert Lésire-Ogrel au siège de la CFTC, à Montholon, et responsable du service juridique. Il m’avait contacté pour assurer la défense de salariés puis nous avons travaillé ensemble. Je me souviens être allé à Bierville, qui était déjà le centre de formation de l’organisation. J’animais des formations, notamment sur les prud’hommes.

Puis vint le temps des travaux de fond, au cours desquels nous jetions les bases de la stratégie juridique de la CFTC puis de la CFDT. J’étais alors au comité directeur du PSU, en 1967-1968, et j’ai rédigé un rapport sur les droits sociaux. Jean-Paul Murcier [responsable juridique à la CFDT de 1967 à 1985] était présent. C’était un homme modeste et d’une grande expertise. Sa grande idée était que le combat juridique est partie intégrante du combat syndical. Nous avons travaillé sur la création du délégué syndical et j’ai porté la notion de « cause réelle et sérieuse » lors d’un licenciement. C’était très nouveau. Certaines de nos idées d’alors se sont retrouvées dans les lois Auroux en 1982. C’est aussi Jean-Paul Murcier qui a théorisé la notion de logique juridique syndicale pour interpréter le droit du travail. Il a été sans aucun doute l’un des meilleurs juristes…

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