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À 60 ans, l’Europe se cherche un avenir

Publié le 27/03/2017

Devant la crise de confiance des citoyens européens et les désaccords qui divisent les États membres, l’Union européenne doit se réinventer. Cinq scénarios sont évoqués, et le syndicalisme européen entend peser pour un axe social fort.

     


Le traité de 1957

Le 25 mars 1957, les chefs d’État et de gouvernement de six États (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) se réunissent à Rome et signent le traité créant la Communauté économique européenne. Le traité de Rome contient déjà tous les grands principes qui régissent encore la conduite des affaires européennes : libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes ; élimination des barrières qui divisent l’Europe ; réduction de l’écart entre les différentes régions, etc. Depuis près de soixante ans, il garantit à un nombre croissant de pays (passé de 6 à 28) et de citoyens européens (510 millions) une paix durable, un développement économique et social et une prospérité qui en fait aujourd’hui la deuxième puissance économique du monde. C’est également ce traité qui crée les cinq institutions européennes : la Commission, le Conseil des ministres, le Parlement, la Cour de justice et le Conseil économique et social.

     

Le 25 mars, les chefs d’État et de gouvernement des 27 pays membres de l’Union européenne ont célébré le soixantième anniversaire du traité de Rome, acte de naissance de l’Union. Hasard du calendrier, la Première ministre britannique, Theresa May, vient d’obtenir l’aval du Parlement du Royaume-Uni pour enclencher la procédure de Brexit. Ce soixantième anniversaire apparaît hautement symbolique à l’heure où l’Europe semble chaque jour un peu plus divisée sur une série de sujets. Parmi ceux-ci, l’accueil des réfugiés, sur lequel les États membres ne parviennent pas à s’entendre et que l’Europe a sous-traité à une Turquie de plus en plus éloignée des valeurs démocratiques. Dans les frontières de l’Union, le sujet sensible du travail détaché, qui attise les populismes et la xénophobie, est dans une impasse tant que le projet de révision de la directive de 1996 continue de se heurter à l’opposition des pays d’Europe centrale et orientale. Dans de nombreux États de l’Union, l’absence de projet porteur et les séquelles de la crise de 2008 ont fait grimper en flèche l’euroscepticisme et le populisme. Dernièrement, les Pays-Bas ont échappé à une victoire de l’extrême droite aux élections législatives, et l’hypothèse d’une accession au pouvoir du Front national inquiète autant en France que chez nos voisins européens.

Cinq scénarios qui laissent l’avenir incertain

Devant ce constat, il apparaît urgent pour l’Union européenne de se redéfinir. Pas moins de cinq scénarios ont été développés par la Commission européenne dans un livre blanc publié le 1er mars. Ils doivent servir de base de travail aux États membres en vue d’élaborer leurs propres propositions. « Le fait que la Commission européenne ne puisse présenter autre chose que des réflexions et des scénarios, avec chaque fois un bref résumé des avantages et inconvénients, nous montre à quel point l’avenir est incertain », a aussitôt critiqué Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES). « Pour sa part, la CFDT refuse de se laisser enfermer dans l’une de ces propositions, explique le secrétaire confédéral Maher Tekaya. Les discussions sur l’avenir de l’Europe commencent seulement et pourraient aboutir à un sixième scénario qui emprunterait un peu à chacune des hypothèses évoquées. »

Vers une Europe à plusieurs vitesses ?

Le troisième scénario, celui d’une Europe à plusieurs vitesses, semble avoir les faveurs des dirigeants des quatre principaux pays de l’Union – Allemagne, Espagne, France et Italie –, réunis lors d’un minisommet à Versailles le 6 mars dernier. « Il ne s’agit pas de définir à quatre ce que doit être l’Europe, ce n’est pas notre conception, a alors déclaré François Hollande. Mais nous sommes les quatre pays les plus importants, et il nous revient de dire ce que nous voulons faire avec d’autres, ensemble. »

L’Union monétaire, le social, la fiscalité, l’antiterrorisme, la protection des frontières et surtout la défense seraient les domaines dans lesquels plusieurs pays organisés en « coalitions volontaires » pourraient avancer plus rapidement que le reste de l’Union européenne. Mais il n’y a pas eu d’annonces concrètes à l’issue de la rencontre, sans doute pour ne pas froisser les pays de l’est de l’Union, inquiets à l’idée de devenir une « Europe de seconde zone ».

Dans ce débat sur l’avenir de l’Europe, le syndicalisme européen compte accorder la priorité au social. Une lettre ouverte cosignée par tous les secrétaires généraux des organisations affiliées à la CES, dont la CFDT, a été adressée aux chefs d’État et de gouvernement, leur enjoignant de prendre leurs responsabilités : « L’Union européenne ne peut pas continuer avec une croissance faible voire nulle, un chômage élevé, des investissements mal ciblés, la montée des inégalités et de la précarité et des institutions incapables de s’accorder pour mener ensemble des actions décisives sur de nombreux défis clés […]. » La CES encourage les responsables politiques « à travailler pour parvenir à un accord sur les progrès futurs de l’intégration européenne, pour dégager une vision claire, progressiste et ambitieuse d’une Europe juste, durable, démocratique et inclusive. Une Europe avec un socle social fort qui renforce l’Union économique et monétaire ».

Des droits sociaux d’inspiration française

Le projet de socle européen de droits sociaux, sorte de filet de sécurité pour tous les travailleurs de l’Europe des Vingt-Sept, lancé par Jean-Claude Juncker en 2016, a rallié entre-temps un certain nombre d’États membres. Lors de la conférence sociale qui s’est tenue à Paris le 2 mars, les ministres des Affaires sociales, du Travail et de l’Emploi de onze États membres – Allemagne, Autriche, France, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Suède – ont signé une contribution commune. Parmi les propositions figurent des salaires minimums décents – à 60 % environ du salaire médian national selon la proposition française –, un marché du travail européen plus accessible avec « un programme plus ambitieux soutenant financièrement la mobilité des personnes en apprentissage et en formation professionnelle », une carte européenne d’étudiant donnant accès à des services (logement, restauration universitaire, etc.), un budget accru pour la garantie jeunesse, qui serait pérennisée. Le renforcement de la lutte contre la fraude au travail détaché est également au menu, ainsi qu’une meilleure coordination des systèmes de Sécurité sociale et « un traitement et une rémunération égaux pour tous les travailleurs ».

En outre, les signataires s’inspirent des nouveaux droits créés en France en proposant de sécuriser les parcours des travailleurs européens par le biais d’un compte d’activité, d’étendre le droit à la déconnexion et de garantir à ceux qui évoluent dans les nouvelles formes d’emploi générées par les plateformes numériques « une protection sociale et la portabilité de leurs droits ». Autant de principes qui conviennent tant à la CES qu’à la CFDT.

La déclaration finale du sommet de Rome sera-t-elle à la hauteur de ces ambitions ? La CES devait participer, juste avant le sommet officiel, à une réunion tripartite (CES, patronat et représentants du Conseil et de la Commission) afin de peser jusqu’au bout en faveur d’un axe social fort.

dblan@cfdt.fr et mneltchaninoff@cfdt.fr

     

Les cinq scénarios de la Commission

Scénario 1 : la continuité. Il vise à poursuivre les différents programmes de travail de l’UE définis à Bratislava en 2016, à savoir le renforcement des frontières extérieures, la lutte contre le terrorisme et la relance de la défense européenne.

Scénario 2 : retour au marché unique. La circulation des biens et des capitaux est renforcée tandis que les normes divergent et que la libre circulation des personnes n’est plus garantie. Le plus petit dénominateur commun s’impose.

Scénario 3 : l’Europe à plusieurs vitesses. Il reprend les principes du scénario 1 en y ajoutant la possibilité, pour les pays qui le souhaitent, d’avancer plus vite dans des domaines tels que les affaires sociales, l’Union économique et monétaire, la sécurité, la politique étrangère, la politique budgétaire.

Scénario 4 : faire moins mais plus efficacement. Ce scénario suppose que l’Union abandonne certains domaines pour se consacrer à d’autres. Le livre blanc propose moins de politiques sociales, moins d’intervention dans le domaine de la santé et des politiques régionales mais davantage dans le commerce, la sécurité, les migrations, le contrôle des frontières et la défense.

Scénario 5 : faire beaucoup plus ensemble. Ce scénario imposerait un renforcement des pouvoirs dans tous les domaines (développement durable, finances, budget, défense, gestion des frontières, etc.) ainsi que des ressources et des capacités de décision accrues de l’Union européenne.