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Lutter contre l’homophobie aussi au travail

Publié le 14/06/2017

Engagée contre toutes les formes de discrimination, la CFDT a fait de la lutte contre l’homophobie un axe d’action. Pour agir sur les lieux de travail, elle noue des partenariats avec les acteurs associatifs. Une complémentarité qui s’avère payante

À n’en pas douter, la couleur orange sera visible dans les cortèges des marches des fiertés programmées dans une douzaine de grandes villes françaises. Les militants seront là pour affirmer avec force leur refus des discriminations à l’encontre des communautés LGBT (lesbiennes, gay, bi et trans). Ce n’est pas une nouveauté à la CFDT : « Les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre sont un sujet dont les partenaires sociaux doivent se saisir car le monde du travail doit permettre à chacun de s’y sentir à sa place et de s’y épanouir », a rappelé le secrétaire national Frédéric Sève lors de la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, le 17 mai dernier. Laurent Berger l’avait souligné au moment de signer la convention avec le Réseau d’assistance aux victimes d’agressions et de discriminations (Ravad), le 3 juin 2016 : « La CFDT a toujours fait de la lutte contre toutes les formes de discriminations un axe fort de son action. »

Libérer la parole et se faire entendre

     


L’homophobie au travail, une réalité trop fréquente

Selon le Défenseur des droits, 39 % des LGBT (lesbiennes, gays, bi ou trans) déclarent subir des discriminations au quotidien dans leur travail, sous des formes multiples : insultes, blagues graveleuses, rejet, refus de promotion, mise au placard… Des tendances confirmées par le 21e rapport annuel de SOS Homophobie, qui fait état d’une recrudescence de 20 % des actes et propos homophobes, après deux années consécutives de baisse. Une hausse également liée au fait que les victimes osent de plus en plus fréquemment s’exprimer. « Sur les lieux de travail, il n’y a pas que des actes graves, les violences ou les insultes. Les personnes homosexuelles peuvent aussi souffrir d’homophobie ordinaire, qui se traduit par de nombreuses petites choses, des réflexions, qui rendent le quotidien difficile. Elles sont souvent obligées de mentir, de s’inventer une vie privée pour ne pas avoir à révéler leur homosexualité. Cela demande une énergie considérable et c’est très destructeur », explique Patrick Raffin, délégué syndical central chez Atos, qui a toute sa vie été engagé dans la lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle. « J’ai des collègues qui n’osaient pas inscrire leur compagnon sur leur mutuelle, de crainte que le service paie ou la direction des ressources humaines soient au courant. Alors en tant qu’élu, dans les instances, pour chaque négociation, j’ai remis la question à chaque fois sur le tapis. Pour obtenir l’égalité des droits, pour tous », explique ce militant, conscient de mettre à profit sa « position de salarié protégé pour pouvoir parler sans crainte à la place de ceux qui n’osent pas le faire ».

     

En engageant un partenariat avec ce réseau, qui regroupe une quarantaine d’associations, appuyées par des avocats spécialisés et des professionnels de santé présents sur tout le territoire, la CFDT marquait sa volonté de renforcer son implication sur la question LGBT.
Une nécessité, alors que toutes les enquêtes confirment la réalité de l’homophobie au travail. Mais qui ne va pas forcément de soi dans toute l’organisation, comme pour les autres acteurs du monde du travail. « Les entreprises et les administrations comme les partenaires sociaux apparaissent encore trop peu sensibilisés et mobilisés sur le sujet. Et, parmi celles qui ont formalisé une politique de diversité, seules 27 % ciblent explicitement le critère de l’orientation sexuelle », indique le Défenseur des droits, qui vient de publier le guide « Agir contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans l’emploi ». « Certains militants ne sont pas forcément à l’aise avec le sujet, ils ne savent pas comment l’aborder », confirme Sonia Paccaud, responsable juridique de l’Union départementale (UD) du Rhône. De ce fait, « les salariés ne se tournent pas spontanément vers les syndicats sur ces questions. Ils s’orientent plus naturellement vers les associations pour les aider et les accompagner », souligne Bérénice Jond, secrétaire confédérale chargée des discriminations. D’où l’enjeu de « faire évoluer nos pratiques pour être mieux identifiés ».

Sensibiliser les militants : former et informer

Se rendre visible est un premier pas. « Il ne faut pas hésiter à mettre le visuel du rainbow flag au côté de notre logo CFDT. Afficher la couleur, c’est important !, explique Valérie Baud, secrétaire du Syndicat Interco 36 et coprésidente de l’association Bi’Cause. C’est montrer que la CFDT soutient les salariés LGBT, et qu’ils pourront bénéficier d’une écoute bienveillante. Cela peut permettre à des personnes qui souffrent en silence de franchir le pas et de venir nous parler. » Améliorer la prise en charge de ces questions passe aussi par la formation des militants. L’expérience de Sonia Paccaud et de Didier Enault, tous deux membres de l’UD du Rhône, est éclairante à ce sujet. Mandatés il y a quatre ans par l’Union régionale de Rhône-Alpes, les deux militants ont intégré le conseil d’administration de l’association lyonnaise Lesbian and Gay Pride. « L’idée était de s’impliquer au-delà de notre seule présence aux marches des fiertés. » Cette présence active des deux militants CFDT dans le réseau associatif LGBT local a été extrêmement fructueuse. « Cela nous a notamment permis de constater nos manques, car nous connaissions trop peu et mal le sujet. Il fallait pour y remédier mieux former et informer nos militants », détaille Sonia Paccaud. Au passage, ajoute-t-elle, « nous avons acquis une légitimité auprès des militants associatifs, pas forcément convaincus au départ… Il y a parfois aussi des représentations restrictives du syndicalisme ! » Le 20 juin prochain, dans le cadre de la Quinzaine des cultures LGBTI à Lyon, la CFDT tiendra d’ailleurs une permanence juridique coanimée par un représentant associatif et un conseiller prud’homme CFDT, afin de répondre aux salariés objets de discriminations ou d’actes homophobes. Tisser des liens, construire des alliances avec le milieu associatif est une manière intéressante d’avancer, dans une complémentarité des rôles que chacun souligne. « Nous ne sommes pas concurrents, mais partenaires de nos actions dans les entreprises ou les administrations », confirme Jérôme Bougerolles, président du collectif Homoboulot, qui rassemble une dizaine d’associations LGBT de grandes entreprises (Gare ! à la SNCF, Comin-G au ministère de l’Économie et des Finances, Homobus à la RATP, etc.). « À la SNCF, par exemple, nous avons eu à plusieurs reprises des dossiers de salariés discriminés que nous avons pu faire avancer par un travail commun entre le délégué syndical et un représentant de Gare ! »

Sans dialogue social, pas d’avancées

Dans ce type de coopération, l’association apporte son expertise et l’acteur syndical, sa capacité à agir dans l’entreprise. « Le syndicat est d’ailleurs une courroie essentielle, car s’il n’y a pas de dialogue social sur ces questions, on n’avancera pas », souligne Catherine Tripon, porte-parole de l’Autre Cercle, une association de professionnels LGBT à l’origine d’une charte d’engagement signée par 58 organisations. Les formes que prennent ces coopérations sont très variées. La Fédération générale des Mines et de la Métallurgie (FGMM) CFDT a ainsi sollicité des intervenants de SOS Homophobie – dont l’une des missions est la prévention de l’homophobie en milieu scolaire ou en entreprise – pour nourrir la réflexion du groupe de travail qu’elle a lancé, début avril, et qui vise à « renforcer notre compréhension et notre action sur ces sujets » explique la secrétaire fédérale Anne Berthin-Bonvalet. Dans la police nationale, le syndicat Alternative Police-CFDT et l’association Flag ! partagent le même souhait de travailler ensemble. Chez BNP Paribas, la section CFDT travaille avec le réseau Pride, qui organise régulièrement des afterworks consacrés aux questions LGBT. « Nous y participons chaque fois. C’est aussi une façon de faire connaître la CFDT », explique Jean-Marc Milly, le délégué syndical national du groupe. L’enrichissement est mutuel. Ces liens semblent d’autant plus nécessaires à nouer que, dans le cadre des actions de groupe – disposition créée en 2016 par la loi de modernisation de la justice du xxie siècle qui permet un recours pour plusieurs personnes ayant subi le même préjudice –, seule l’organisation syndicale a la possibilité d’agir en justice. Mais l’expertise des associations LGBT constitue un précieux appui. C’est l’esprit de la convention signée avec le Ravad : sensibiliser davantage les militants à ces problématiques et porter des dossiers en commun. Pour faire avancer la cause.

epirat@cfdt.fr