[Interview] Mariette Sagot : "Le dynamisme démographique de la région est remarquable"

Publié le 03/07/2018

Démographe, chargée d’études à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) d’Île-de-France, Mariette Sagot a réalisé plusieurs Mariette Sagot IAUtravaux sur la population francilienne. Pour Solidaires, elle présente les grandes tendances démographiques de la région et livre quelques clés de lecture sur les enjeux d’aujourd’hui et de demain.

Quelles sont les grandes spécificités démographiques de notre région ?
À l’instar du Grand Londres, l’Île-de-France est une région particulièrement jeune, avec une proportion de personnes âgées plus faible qu’ailleurs. Le taux de fécondité y est plus élevé qu’en France (2,04 naissances par femme), de même que l’espérance de vie (80,6 ans chez les hommes, 85,6 ans chez les femmes en 2015). On y vit aussi moins en couple et le nombre de familles monoparentales y est plus important. De manière générale, le dynamisme démographique de la région est remarquable, avec 103 000 naissances de plus que de décès. Ainsi, près de deux tiers de l’excédent naturel du pays (différence entre les naissances et les décès) provient aujourd’hui de l’Île-de-France.

Une autre particularité de la région, c’est son cosmopolitisme. Près de 40 % des immigrés qui vivent en France y résident et c’est en Île-de-France que la part d’immigrés dans la population est la plus importante (18,5 %), soit près du double de la moyenne nationale (9%). Près des deux tiers des arrivants de l’étranger sont des immigrés.

le solde migratoire est négatif dans la région, c’est-à-dire que les départs vers la province ou l’étranger excèdent les arrivées
Au niveau des flux migratoires, on constate plus de départs que d’arrivées…
En effet. S’il est plus que compensé par un solde naturel positif, le solde migratoire est négatif dans la région, c’est-à-dire que les départs vers la province ou l’étranger excèdent les arrivées (52 000 départs nets chaque année entre 2010 et 2015). Les échanges sont positifs avec l’étranger et négatifs avec la province. La région attire les jeunes, mais les familles et les jeunes retraités sont plus nombreux à partir en province qu’à s’installer dans la région. Ces données sont assez stables dans le temps, même si on constate un peu moins d’arrivées de jeunes. Ces derniers ne sont plus obligés de faire leurs études à Paris, le système universitaire et les grandes écoles s’étant bien développés en province. Mais pour trouver un emploi, notamment de cadre, l’Île-de-France reste incontournable. Les cadres sont d’ailleurs surreprésentés parmi les arrivants.

À quoi ressemblera la population francilienne en 2040, selon vos hypothèses prospectives ?
D’abord, elle va continuer d’augmenter, avec un chiffre compris entre 12,5 et 13,9 millions de Franciliens en 2040 (contre 12 millions actuellement, NDLR) selon les hypothèses faites sur la fécondité, la mortalité et les échanges migratoires avec la province et l’étranger. Ensuite, elle va vieillir. Les générations du baby-boom nées entre 1946 et 1975 arrivent d’ores et déjà à l’âge de la retraite. Ce vieillissement sera un peu moins marqué en Île-de-France. On devrait ainsi passer de 13 % de Franciliens de 65 ans et plus actuellement à près de 19 % en 2040. Mais surtout, le nombre des plus âgés, au-delà de 85 ans, devrait plus que doubler, passant de 243 000 à 540 000 dans le scénario central.

La population va continuer d’augmenter, avec un chiffre compris entre 12,5 et 13,9 millions de Franciliens en 2040
Quels enjeux ce vieillissement de la population soulève-t-il ?
Les problématiques sont variées et concernent notamment le développement des structures d’accueil et des services à domicile, l’adaptation des logements ou encore l’accompagnement des proches aidants. Il y a aussi la question des revenus. Depuis 40 ans, les revenus des personnes de plus de 65 ans se sont fortement améliorés en Île-de-France. Les plus de 65 ans représentent aujourd’hui 16 % des personnes pauvres, contre près de la moitié il y a 40 ans. De plus en plus de personnes ont des carrières complètes et l’activité féminine s’est fortement développée, soutenant ainsi les ressources des ménages retraités. Les deux tiers des retraités sont propriétaires. Ce sont aujourd’hui les jeunes qui sont le plus exposés et la pauvreté diminue avec l’âge.

Mais attention : cette situation masque de fortes inégalités non seulement de revenus mais plus encore de patrimoine. En France, 10 % seulement des ménages détiennent 47 % du patrimoine. Un autre enjeu majeur pour l’avenir est bien sûr celui de l’équilibre du système des retraites.