[Portrait] Jean-Pierre, de la Bastille à Bruxelles

Publié le 29/10/2018 (mis à jour le 06/11/2018)

De son soutien actif à Solidarnosc à ses années aux côtés de Jacques Delors, Jean-Pierre Bobichon, ancien secrétaire général de l’Union régionale parisienne, nous livre quelques morceaux choisis de son engagement européen. Un engagement parmi d’autres. Où les petites histoires s’entremêlent avec la grande.

« Je suis un mec de la Bastoche », accroche le Titi parisien, né en 1947. Fils d’une plumassière et d’un employé de la Compagnie des wagons-lits, Jean-Pierre se décrit comme un authentique autodidacte. Jeune, il doit arrêter son apprentissage de la typographie pour commencer à travailler comme magasinier, puis chauffeur-livreur. Il découvre la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) en 1967, avant d’adhérer à la CFDT.

En 1974, un 1er mai, son engagement prend un nouveau virage quand Jean Boussemart, alors secrétaire général de l’Union départementale (UD) de Paris, l’embauche. Deux ans seulement après, le jeune syndicaliste prend la tête de l’UD (1976-78) puis est élu secrétaire général de l’Union régionale parisienne (1978-86), future Union régionale Île-de-France. Membre du Bureau national, Jean-Pierre commence à nouer des liens en Europe. D’abord, à travers la conférence syndicale des régions capitales, organisée pour la première fois en 1979 à Bobigny. « Nous travaillions à créer des passerelles entre organisations, en menant des réflexions communes sur les transports, le logement ou encore l’environnement », se souvient-il.

Soutien à Solidarnosc
Une aspiration ambitieuse dans une Europe coupée en deux par le « rideau de fer » qui commence toutefois à se fissurer. En Pologne, naît à l’été 1980 le puissant syndicat Solidarnosc qui va devenir le principal contre-pouvoir au régime communiste. Alors que la CGT refuse de reconnaître ce syndicat non officiel, la CFDT lui apporte très vite un appui total. « Personne n’avait mieux saisi l’enjeu des libertés qu’Edmond Maire », souffle Jean-Pierre. Conviés au congrès de l’URP à Bobigny en novembre 1980, les représentants de Solidarnosc de la région de Varsovie invitent en décembre une délégation de la CFDT régionale à leur congrès. Avec 4 militants, Jean-Pierre s’envole pour la Pologne quasi clandestinement, sans visa. Et reste coincé à l’aéroport de Varsovie... La situation se débloquera finalement, suite à un ultimatum de Solidarnosc au ministre de l’Intérieur. « Ce soutien a été très important pour eux. Mais on voyait bien que quelque chose se tramait », observe Jean-Pierre. La nuit même de leur retour, le 12 décembre à 2h du matin – Jean-Pierre a une mémoire d’éléphant –, une vague d’arrestations est engagée contre les responsables du syndicat, dont Lech Walesa.

Avec FO, la CFTC, la CGC et la FEN, la CFDT décide de réagir et organise une série d’actions, dont un mémorable meeting, le 23 décembre, à la Mutualité. Avec la participation de nombreux artistes et intellectuels. « Un souvenir inoubliable, lâche Jean-Pierre, des trémolos dans la voix. Un formidable élan de solidarité de toute la CFDT était né ».

Aux côtés de Delors
Jean-Pierre est recruté à la Commission européenne en 1986. Il est chargé de l’information syndicale et sociale auprès du cabinet de Jacques Delors, président de la Commission. « Nous nous sommes rencontrés en 1979 lors d’une formation économique, raconte Jean-Pierre. Et le lien perdure toujours. Il a bataillé pour jeter les bases d’un dialogue social européen », relate-t-il, évoquant le dialogue de Val Duchesse – réunions lancées en 1985 avec les partenaires sociaux européens – qui aboutira au protocole social signé en 1992 par 12 pays et annexé au Traité de Maastricht.

Jean-Pierre quitte finalement la Commission en 2003 et rejoint l’Institut Notre Europe l’année suivante où il devient conseiller de Jacques Delors. En observateur bien placé de la vie européenne, il pose un regard lucide sur la situation actuelle : « C’est compliqué de trouver des compromis qui respectent les histoires et les cultures de chacun. On a tendance à renvoyer la faute sur Bruxelles car on ne sait pas comment fonctionnent les institutions. C’est pourquoi il est indispensable de sensibiliser les militants sur l’enjeu européen ». Avant d’avertir celles et ceux tentés par un repli nationaliste : « Les murs et barbelés sont un frein au rapprochement des peuples et un danger pour la paix. Face aux enjeux climatiques, migratoires et numériques, nous devons plus que jamais renforcer la coopération européenne ». À bon entendeur.