[Interview] D.Saadat, avocat : "Ne pas laisser la justice uniquement aux mains des professionnels"

Publié le 08/01/2018

Daniel Saadat est secrétaire général du réseau d’avocats AVEC, partenaire privilégié de la CFDT. Dans le cadre de notre dossier sur les Conseils de prud'hommes, il décrypte les bouleversements de ces dernières années de la justice prud’homale et pose son regard sur l’évolution du métier d’avocat. Entretien.

Quels liens entretient le réseau AVEC avec la CFDT ?
Daniel Saadat : Le réseau AVEC, qui compte plus de 80 avocats dont 21 en Île-de-France, est un partenaire privilégié de la CFDT depuis 1993. Nos avocats partagent les valeurs et promeuvent les idées défendues par l’organisation : que ce soit dans les enceintes judiciaires ou dans le cadre de réunions spécifiques à la profession. L’une des conditions pour faire partie du réseau est d’avoir travaillé pour la CFDT ou d’être recommandé par la CFDT. Nos avocats dispensent aussi régulièrement des sessions d’information – type soirées Infodroit – auprès des militants. Des moments d’échange riches pour tous.

Nos avocats partagent les valeurs et promeuvent les idées défendues par la CFDT
Quel regard portez-vous sur les multiples évolutions de la justice prud’homale ?
D.S. : Je constate tout d’abord que le métier d’avocat, aux prud’hommes, est en train de mourir. Le Conseil de prud’hommes de Paris a enregistré ces dernières années 40% de baisse des saisines. L’un des facteurs les plus importants pour l’expliquer est – me semble-t-il – l’instauration de la rupture conventionnelle individuelle, qui a été totalement dévoyée de son objet initial. On peut invoquer également comme facteur la complexification des modalités de la saisine du conseil, avec l’obligation de passer par voie de requête ; ce qui enferme le plaignant dans sa demande initiale.

Les ordonnances Macron risquent d’accentuer cette baisse des saisines dans la mesure où elles instituent un barème obligatoire en cas de licenciement abusif. Cette barémisation est l’expression d’une méfiance à l’égard du juge. Derrière tout cela, il y a l’idée que l’on doit pouvoir licencier plus facilement. Si un patron licencie un salarié sans cause réelle et sérieuse, il ne sera pas sanctionné à la hauteur de la
 réparation du dommage occasionné. C’est terrible.

Cette barémisation des indemnités est l’expression d’une méfiance à l’égard du juge.
Quid des nouvelles procédures d’appel ?
D.S. : En raison de la cherté et de l’extrême complexité de la procédure d’appel prud’homale, le salarié voulant faire appel est désormais obligé de passer par un avocat ou un défenseur syndical et ne peut plus assurer sa défense seul. Nous sommes loin de la simplification annoncée. La réforme de la procédure d’appel ne vise qu’à diminuer les contentieux et le recours aux juges. Il s’agit au final de faire payer aux justiciables la pauvreté de la justice.

le rôle de l’avocat sera davantage axé sur la sécurisation des accords collectifs
Le rôle de l’avocat est-il amené à évoluer avec les ordonnances ?
D.S. : Oui. Avec le bouleversement juridique des ordonnances Macron, il va falloir réfléchir à une participation accrue des avocats auprès des équipes syndicales, en termes d’appui à la négociation notamment. De leur côté, les équipes vont devoir apprendre à se saisir de l’avocat et à définir une stratégie beaucoup plus en amont. Dans ce cadre, le rôle de l’avocat sera davantage axé sur la sécurisation des accords collectifs et la mise en oeuvre de techniques contractuelles que sur les actions de contentieux. Il faut rappeler ici que l’avocat n’est qu’un technicien du droit : il accompagne – avec vigilance et en étant force de propositions – mais ne dirige pas. La ligne politique et la stratégie doivent rester du ressort du militant ou du collectif. C’est pourquoi d’ailleurs nous nous formons, au sein du réseau, aux nouvelles techniques de médiation et au droit collaboratif.
ne pas laisser la justice uniquement aux mains des professionnels
Comment voyez-vous l’avenir des Conseils de prud’hommes ?
D.S. : Je suis un fervent défenseur de cette juridiction. Même si c’est une exception culturelle. Après tout, les Français mangent bien des grenouilles et pas les autres… L’idée de départ des prud’hommes est très bonne : il s’agit de se faire juger par ses pairs, c’est-à-dire par des gens qui ont une pratique de l’entreprise. Il est bon par ailleurs de ne pas laisser la justice uniquement aux mains des professionnels. Les prud’hommes ne sont d’ailleurs pas une exception puisqu’en matière pénale, la cour d’assises est également composée de jurés, issus de la société civile.