[Dossier] L'accès à la culture, un enjeu de société

Publié le 22/07/2016

L’Île-de-France propose une offre culturelle abondante et variée. C’est d’ailleurs grâce à sa richesse patrimoniale et culturelle qu’elle est aujourd’hui la première destination touristique mondiale. Cependant, cette offre est encore difficile d’accès pour de nombreux Franciliens, alors même que la culture est un levier majeur d’intégration et de cohésion sociales. Un vaste sujet auquel s’est « attaquée » la commission culture et communication du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) dans un rapport porté fin 2015 par Jean-Paul Rueff, représentant la CFDT. Aperçu de ce travail important et des propositions adressées au Conseil régional.

Crédit photo : E.Blum /IAU  idf

« Il n’est pas aisé de définir les notions de « culture »,  d’« offre culturelle », de « pratiques culturelles ». Dans notre esprit, offres et pratiques culturelles sont deux versants complémentaires : d’un côté la fréquentation d’équipements culturels, de l’autre, un ensemble de pratiques personnelles, isolées ou collectives, en lien avec une activité strictement culturelle ou mitoyenne entre le culturel et les loisirs comme la lecture ». À partir de ce préalable, le rapport dresse un état des lieux de cette offre qui va bien au-delà des musées, lieux de patrimoine et salles de spectacle.

Acteur majeur de la CFDT en Île-de-France pendant de nombreuses années (voir notre numéro de janvier 2016), JeanPaul Rueff BDJean-Paul Rueff est décédé fin 2015 quelques jours après avoir présenté cet avis devant le Ceser Île-de-France. Ce sujet lui tenait particulièrement à coeur, lui qui était un passionné de culture mais aussi un acteur de sa démocratisation au travers de son engagement dans les centres sociaux. Sous sa conduite, la commission avait ainsi arpenté toute l’Île-de-France et rencontré pas moins d’une centaine d’acteurs du monde de la culture, qui ont mis l’accent sur leurs actions innovantes, particulièrement celles engagées depuis 2014. Le rapport adopté à l’unanimité a eu un écho considérable, au-delà des décideurs publics locaux.  Pour lire l’intégralité du rapport : ceser-iledefrance.fr

 















Culture et territoire

Loin d’être concentrée sur la seule ville de Paris, l’offre culturelle d’Île-de-France est abondante et s’est progressivement étendue bien au-delà du périphérique. Quelques chiffres : 533 salles de spectacles sur 1 023 et 381 musées ou sites patrimoniaux sur 546 sont situés hors de Paris. Les inégalités entre territoires sont toutefois très fortes : les villes les plus pauvres, enclavées, sont les moins bien équipées. Il a ainsi fallu attendre 2005 pour que le premier musée d’art contemporain d’envergure – le MAC VAL – soit inauguré en banlieue à Vitry-sur-Seine (voir l'interview d'Alexia Fabre, conservatrice en chef du musée). Il en va de même dans les zones rurales où l’éloignement des centres urbains freine la fréquentation des lieux culturels.

Des inégalités d’accès
Les obstacles à l’accès à la culture sont aussi nombreux que variés. L'accès à la culture est plus difficile pour certaines populations économiquement fragiles à cause du coût que peut représenter une sortie culturelle, alors que leur pouvoir d'achat est déjà largement entamé par les dépenses de logement et autres frais de la vie courante. Pas étonnant dès lors que les lieux culturels les plus fréquentés par les familles modestes sont ceux de proximité, gratuits ou peu onéreux, tels que les médiathèques. Outre l’aspect financier, les pratiques culturelles apparaissent aussi corrélées au statut social, à l’éducation et à l’origine des Franciliens. Les obstacles à la fréquentation sont également souvent le fait de situations personnelles des publics dits « empêchés » : personnes en situation de handicap ou en perte d’autonomie, malades hospitalisés, migrants maîtrisant mal la langue française ou encore personnes incarcérées. Et comme l’ont souligné de nombreuses personnes auditionnées, sortir des inégalités face à la culture implique un engagement fort vis-à-vis de la jeunesse dans le cadre scolaire ou extrascolaire. De nombreuses initiatives publiques comme privées, provenant de grandes institutions nationales ou d’associations locales, existent pour permettre à ces publics de bénéficier d’une offre culturelle de qualité.

Mettre en avant les bonnes pratiques
Face à ces constats de l’inégalité de l’accès comme de l’offre sur le territoire, le rapport du Ceser a fait le choix de « mettre en avant les bonnes pratiques […] en essayant de refléter au mieux la réalité […]. Le but étant à la fois d’attirer l’attention sur des actions ciblées […] mais aussi d’inciter à la curiosité ». Il présente donc un nombre considérable d’initiatives émanant des multiples acteurs de la politique culturelle. La part d’intervention des institutions publiques est bien sûr prépondérante. L’État et les collectivités territoriales (Région, départements, mairies) gèrent et financent nombre d’actions culturelles. Ils sont à l’origine d’initiatives permettant au plus grand nombre d’avoir accès à une pratique culturelle. Pour n’en citer que quelques-unes issues du rapport : l’action de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) qui, au travers de conventions, vient en soutien des territoires comme Sartrouville, Noisy-le-Sec, Chanteloup-les-Vignes ou encore Mantes-la-Jolie ; Le Musée d’Art contemporain du Val-de-Marne ; l’intervention de la Région Île-de-France qui donne mission à ses organismes culturels associés tel l’orchestre national d’Île-de- France de s’adresser aux publics dits « éloignés » en proposant une politique tarifaire adaptée. À leurs côtés, les institutions privées ne sont pas en reste, avec en premier lieu les associations qui oeuvrent à l’échelle régionale ou celle d’un quartier et pour qui l’accès à la culture est synonyme d’inclusion sociale. Ainsi pour la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion (Fnars), « l’action culturelle doit être valorisée à la fois comme un vecteur de citoyenneté et d’accès au droit mais aussi comme un levier favorisant l’insertion en complément des dispositifs d’accompagnement vers le logement, la santé, l’emploi ». La démarche associative est volontariste avec des publics étroitement associés à la préparation des activités afin de renforcer leur autonomie et faire en sorte qu'ils s'approprient des pratiques qu'ils estiment trop souvent « pas faîtes pour eux ».

PROPOSITIONS POUR FACILITER L’ACCÈS À LA CULTURE
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Un des objectifs du Conseil économique, social et environnemental régional est d’émettre des avis, de formuler des propositions en direction du Conseil régional sur ses domaines de compétences. Quelques propositions de l’avis :

1. Se donner une stratégie en matière culturelle.
2. Se donner des outils
> La Région doit encourager les initiatives inclusives et participatives favorisant la mixité, l’intégration des personnes en situation de handicap et empêchées, ainsi que l’incitation aux dispositifs intergénérationnels.
3. Se rapprocher des publics
• Renforcer, via le Syndicat des transports d’Île-de-France (Stif), les moyens mis en oeuvre pour développer la politique régionale d’accessibilité des personnes à mobilité réduite et en situation de handicap, ainsi que leurs accompagnants.
• Prévoir une aide spécifique au transport pour les personnes les plus défavorisées afin de faciliter leur participation à des initiatives culturelles.
• Favoriser l’implantation de lieux multifonctionnels, réunissant les dimensions sportives, de loisirs et culturelles dans les territoires de faible densité en lieux culturels.
• Accroître les moyens en direction des initiatives « hors les murs » pour toucher plus encore les Franciliens les plus éloignés géographiquement de l’offre culturelle.
• Développer les initiatives à destination des lycées, notamment celles concernant les médiateurs culturels.
4. Former, simplifier, communiquer
• Renforcer la formation des personnels du domaine culturel, notamment ceux des petites structures de proximité.
• Simplifier les procédures complexes de montage des dossiers de financement particulièrement pour les petites structures sans moyens logistiques.
• Renforcer la politique de communication concernant l’information liée à l’offre culturelle francilienne, par exemple sous la forme d’un portail culture.


Amplifier l’engagement
In fine, le financement public est essentiel pour assurer le développement culturel auprès des publics les plus éloignés. Il faut ainsi souhaiter que le niveau de la contribution publique à la culture ne soit pas diminué afin de permettre la poursuite des actions entreprises. Cette dimension figure d’ailleurs en tête des recommandations émises dans l'avis à destination du Conseil régional d’Île-de-France : il s’agit à la fois pour la Région « d’être garante de l’équité territoriale pour l’accès de tous à l’offre culturelle, de faire émerger une stratégie régionale cohérente et coordonnée entre les intervenants institutionnels », mais aussi « d’amplifier son engagement culturel et favoriser l’essaimage des bonnes pratiques » (voir les autres propositions dans l’encadré p.11). À noter qu’en moyenne sur les dernières années, la Région Îlede- France a consacré 12 € par an et par habitant à la culturedans son budget, loin derrière le Nord-Pas-de-Calais avec 32,5 €. Néanmoins, une hausse des dépenses de + 6,6 % a été votée pour l’année 2016 avec comme priorité l’élargissement de l’accès à la culture et le soutien à la croissance économique du secteur. Dans ses textes d’orientation, la CFDT Île-de-France met en avant le rôle de la culture dans toutes ses dimensions : sociétale, sociale, économique et comme composante essentielle du vivreensemble comme le soulignen d'ailleurs la conclusion du rapport: « Il reste donc fort à faire. Dans une période difficile marquée par une progression du chômage, la montée de la pauvreté et de la précarité, le repli sur soi individuel ou communautaire, la méfiance de l’autre (…), la culture apparaît plus que jamais comme un élément indispensable du lien social ». La culture représente aussi un puissant levier de la politique de la Ville renforçant l’attractivité des territoires franciliens. La réduction des inégalités territoriales, qui sont patentes en Île-de- France, passe par une « offre de services culturels » qui réponde aux besoins des populations dans toute leur diversité.

Dossier E.Blum-IAU IA73163
Musée d'art contemporain du Val-de-Marne (MAC VAL) - Crédit photo : E.Blum /IAU  idf

Retrouvez en pièce-jointe l'ensemble du dossier paru dans Solidaires N°511.