Le transport des salariés, nouvel enjeu de dialogue social

Publié le 14/03/2022

La loi d’orientation des mobilités (LOM) a, depuis le 1er janvier 2020, transformé en profondeur la politique des mobilités pour tenter de répondre à l’enjeu environnemental. Les employeurs du privé sont tenus d’intégrer la problématique des transports dans les négociations sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail. Éclairage sur de nouvelles dispositions encore méconnues, dont les équipes syndicales commencent à se saisir.

Se déplacer, notamment du domicile au travail, en véhicule individuel polluant (voiture, moto, scooter…) a un fort impact sur les émissions de gaz à effet de serre et donc sur le dérèglement climatique. Si le recours aux transports publics, covoiturage ou mobilités douces (vélo, trottinette ou encore marche à pied) se développe, la voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile–travail.

Dès lors, les entreprises et administrations ont un rôle important à jouer pour inciter salariés et agents à opter pour des modes de déplacement plus propres.

Négociations obligatoires

Avancée majeure de la LOM, les entreprises d’au moins 50 salariés doivent désormais, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) avec les représentants du personnel, aborder le thème du transport des travailleurs sur leur trajet domicile–travail. Celui-ci peut être traité de plusieurs manières : incitation à l’usage du vélo ou au covoiturage, télétravail pour limiter les transports, aménagements d’horaires de travail, et bien sûr prise en charge des frais liés à l’utilisation des mobilités durables.

Ce n’est qu’en l’absence d’accord que les entreprises devront obligatoirement établir un plan de mobilité employeur (PDME), à l’exception toutefois des entreprises de plus de 100 salariés, qui sont tenues à une double obligation (NAO et PDME). Pour ce qui concerne le secteur public, particularité de l’Île-de-France, tous les établissements comptant plus de 100 agents sur un même site doivent réaliser depuis 2019 un plan de mobilité en application du plan de protection de l’atmosphère de la Région.

Le forfait mobilités durables

Introduit par la LOM, le forfait mobilités durables (FMD), dispositif facultatif, s’adresse tant aux salariés du privé qu’à ceux du public qui utilisent, sous conditions, comme moyen de déplacement, un vélo, le covoiturage ou l’autopartage, les transports publics (hors abonnement), etc…

Son montant annuel est déterminé par accord d’entreprise ou interentreprise dans la limite de 500 euros par an. Pour les agents des fonctions publiques, il est de 200 euros annuels. Le versement du FMD peut prendre la forme d’une allocation directe sur salaire ou, depuis le 1er janvier 2022, de la délivrance d’un titre mobilité à l’instar du titre-restaurant.

L’Union régionale accompagne les équipes syndicales

Pour permettre aux militantes et militants CFDT d’entrer dans les négociations dans les meilleures conditions possible, l’Union régionale va mettre à disposition des équipes syndicales un guide pratique et propose son appui lors du lancement d’une négociation, notamment pour la construction d’axes revendicatifs. En effet, comme le souligne Olivier Clément, secrétaire régional, « en Île-de-France, la question des mobilités est cruciale, l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé des individus est tel que nous ne pouvons pas nous désintéresser du sujet. Les dispositions de la LOM ouvrent un nouveau champ des possibles pour négocier dans les entreprises et administrations des accords vertueux au bénéfice de tous. Encore faut-il bien connaître la législation, appréhender les étapes nécessaires de la négociation, et partager les retours d’expériences. » Et chaque pas, petit ou grand, pour faire de la « transition juste » un sujet syndical est à encourager.

 

ÉRIC CARBONNIER DÉLÉGUÉ SYNDICAL CHEZ ORANGE

 eric carbonnier-2 

 Vous venez de conclure un accord chez Orange. Quel était le contexte ?

Notre premier plan de déplacement national arrivait à échéance en 2021. Il était très orienté sur l’usage du vélo, avec le financement d’une indemnité kilométrique à concurrence de 200 euros par an. La direction a proposé de renégocier dans le cadre de la nouvelle loi d’orientation des mobilités.

Aviez-vous des objectifs pour cette négociation ?

Nous savons bien que les déplacements domicile-travail ont une importance déterminante dans la qualité de vie au travail. Nous voulions donc nous adresser au plus grand nombre de salariés possible et dépasser le cadre des seuls cyclistes. Nous avons travaillé en amont, avec l’aide de notre fédération, notamment à partir des amendements qui avaient été proposés par la CFDT Transports au moment de l’examen de la loi. Le thème du covoiturage s’est rapidement imposé comme un axe intéressant d’incitation car, si peu de salariés y ont recours pour le moment, une part non négligeable d’entre eux n’y est pas réfractaire.

Quelles avancées avez-vous obtenues ?

La négociation n’a pas été facile, mais nous avons finalement obtenu un forfait de mobilité durable de 3 euros par jour à hauteur de 400 euros par an pour les usages de mobilité durable : trottinette, vélo, covoiturage, tickets de transport à l’unité, véhicule de sous-location...

Ce forfait n’est pas pénalisant pour les télétravailleurs car le plafond de 400 euros est parfaitement atteignable même lorsqu’on télétravaille deux jours par semaine. Nous avons également obtenu que les alternants et stagiaires – 4 000 par an environ dans l’entreprise – soient éligibles, sans condition d’ancienneté, y compris dans le cadre de leur trajet du domicile à l’école. Deux syndicats nous ont rejoints pour valider l’accord, qui s’applique depuis janvier. Actuellement, nous organisons des heures d’information syndicale pour présenter la démarche aux salariés.

VALÉRIE DELACOURT    DÉLÉGUÉE SYNDICALE CENTRALE À CRÉDIT AGRICOLE SA

 PHOTO DELACOURT VALERIE 

 

Vous êtes en train de boucler votre négociation sur le forfait mobilités durables. Comment ce thème s’est-il imposé ?

La CFDT, majoritaire, est la seule organisation syndicale à avoir porté, depuis deux ans, cette revendication. J’ai d’abord été interpellée par des collègues qui étaient de plus en plus nombreux, notamment depuis la crise sanitaire, à venir au travail à vélo. Leur demande ? Ceux qui viennent en transports en commun ont droit à une participation financière de l’employeur, mais rien n’est prévu pour ceux, de plus en plus nombreux, qui pédalent ! On a donc décidé de se pencher sur le sujet et demandé à négocier.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Nous avons acté la mise en place du forfait mobilités durables (FMD), avec un plafond de 500 euros, lors de la négociation annuelle obligatoire, fin 2021. Comme auparavant notre entreprise n’avait pas mis en place l’indemnité kilométrique vélo, le FMD ne pourra pas prendre la forme d’une indemnité forfaitaire mensuelle. Il va se matérialiser par une carte de paiement prépayée auprès d’un prestataire choisi qui permettra de régler les dépenses liées à l’usage du vélo ou d’autres mobilités douces.

Notre objectif est aussi de permettre aux salariés de varier leurs modes de transport et par exemple de pouvoir, avec cette carte, acheter des tickets de métro, à l’unité, pour venir en transports en commun, notamment quand il pleut. Nous allons aussi négocier pour obtenir davantage d’emplacements pour garer les vélos en surface.

Avez-vous d’autres revendications sur le sujet ?

Nous avons demandé, en complément de ce forfait, de revisiter toute la politique de transport de l’entreprise, en pérennisant d’abord le financement à hauteur de 90 % du passe Navigo, conquis en 2016. Les questions de mobilité sont d’ailleurs souvent abordées, au fil de l’eau, dans nos réunions d’instance.

Nous avons par exemple obtenu le paiement par l’employeur d’attaches vélo plus pratiques pour les salariés.