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[Interview] Pierre Henry : "Accueillir, c'est penser dès le départ à l'intégration"

Publié le 05/04/2016

Dans un entretien réalisé avant le dernier sommet UE–Turquie, Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile, nous livre son regard sur la crise migratoire en Europe et présente l’action de son association en faveur des réfugiés.

Quelles sont les missions de France terre d’asile ?
Pierre Henry : France terre d’asile a été créée en 1970, avec comme objet social la défense et la promotion du droit d’asile. Nos missions ont depuis évolué et se déclinent en trois axes : l’accueil, l’information et l’hébergement des demandeurs d’asile ; l’accompagnement et l’intégration des réfugiés statutaires et la protection des mineurs isolés étrangers. L’association compte 700 salariés et gère 35 centres d’accueil et quelques 6 500 places d’hébergement en France (dont près de la moitié en Île-de-France, qui totalise aussi la moitié des demandes d’asile du pays). À l’international, nous sommes également présents en Tunisie et participons à l’animation d’un réseau européen composé de 70 organisations analogues à la nôtre.

on ne peut combattre l’extrémisme qu’avec du courage, de la clarté et des convictions.
Quel regard portez-vous sur les grands mouvements migratoires qui ont agité l’Europe ?
P.H. : Le choc migratoire a d’abord touché les pays qui ont à assumer les frontières extérieures de l’Union européenne (Grèce, Italie, Bulgarie…), ainsi que l’Allemagne, qui mène une politique d’accueil volontariste. De son côté, la France est globalement restée à l’écart de ces mouvements avec une hausse limitée des demandes d’asile de 63 000 à 79 000 (+21%) en 2015. S’il est important de débattre de l’accueil des réfugiés, surtout en période de difficultés économiques, je pense malgré tout que la France n’a pas fait toute sa part du travail. De manière générale, là où il faudrait organiser la solidarité en Europe, les gouvernements continuent de croire qu’ils peuvent se sortir seuls de la crise migratoire. C’est une erreur fantastique. D’autant que la situation était tout sauf imprévisible. Cela fait plus de deux ans que ça dure. Il a fallu six sommets des chefs d’État européens pour finalement obtenir, le 23 septembre dernier, un accord de relocalisation de 160 000 réfugiés dans toute l’Europe. En plus, les décisions mettent du temps à se concrétiser. À ce jour, (février 2016, NDLR) seuls 500 réfugiés ont été répartis en Europe, et moins de 50 en France… Pendant ce temps-là, même en hiver, il arrive près de 2 000 personnes par jour en Grèce. Je plaide donc pour que l’UE se dote, à ses frontières, des structures nécessaires pour identifier et accueillir dignement les réfugiés. Au final, la situation de désordre total dans laquelle nous sommes ne peut qu’alimenter les peurs et les extrêmes. D’autant que la question des migrations est terriblement instrumentalisée. Et les discours extrémistes tétanisent nos politiques. Je pense pourtant que l’on ne peut combattre l’extrémisme qu’avec du courage, de la clarté et des convictions.

on a jamais autant parlé d’intégration alors que les budgets n’ont jamais été aussi bas

À quelles difficultés votre association fait-elle face ?

P.H. : Depuis sept ans, nous avons assisté à une baisse continue des budgets. Ce qui complique la tâche des travailleurs sociaux et crée des tensions sur le terrain. La variable d’ajustement est toujours la même : l’accompagnement, qui contribue pourtant à la sécurité des personnes accueillies mais aussi à celle de la population. Pour moi, accueillir, c’est penser dès le départ à l’intégration. C’est-à-dire à l’apprentissage de la langue, absolument indispensable, ainsi qu’à la transmission des valeurs républicaines. Je suis atterré de constater qu’on a jamais autant parlé d’intégration alors que les budgets n’ont jamais été aussi bas. Cette vision à court terme est terrible.

les syndicalistes sont des passeurs de valeurs
Quel est l’objectif des « Duos de demain » ?
P.H. : Ce dont ont besoin les personnes reconnues comme réfugiées, c’est de se reconstruire. Cela passe par la reconstitution d’un réseau social et par l’apprentissage de la langue et de la culture. C’est l’ambition de « Duos de demain » (voir Solidaires 510, p.6), qui est une initiative assez simple à mettre en oeuvre et à la portée de tout un chacun. Ce qui importe, c’est de rompre l’isolement. On parle souvent de l’enfermement communautaire. Il ne s’agit pas de nier que ça existe. Mais il ne faut pas oublier que pour ceux qui n’ont pas de réseau, la communauté est aussi gage de protection. Si on veut éviter le repli, la communauté nationale doit s’ouvrir. Je suis très heureux que la CFDT – avec qui nous travaillons depuis longtemps – ait décidé de s’impliquer dans ce dispositif de longue haleine car je pense que les syndicalistes sont des passeurs de valeurs et de solidarité. Nous sommes là au coeur d’une action concrète, qui ne fait pas de bruit mais qui peut être d’une grande efficacité pour le vivre-ensemble.