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Orientations stratégiques : le délai est bien préfix, mais il ne court pas !

Publié le 18/04/2018

Par un arrêt du 28 mars dernier, la Cour de cassation donne enfin gain de cause à nos équipes dans l’affaire Markem Imaje. La Haute juridiction décide en effet que le délai préfix dont le comité d’entreprise dispose pour rendre un avis sur les orientations stratégiques de l’entreprise ne court qu’à compter du moment où l’employeur a rempli ses obligations d’information, prévues par la loi ou par accord. Ce qui n’est pas le cas lorsque la base de données économiques et sociales (BDES) n’a pas été mise en place. Cass.soc.28.03.18, n°17-13081.

  • Faits, procédure et prétentions

En 2013, un accord était signé par les organisations syndicales représentatives, qui reconnaissait l’existence de l’UES entre les 3 sociétés et prévoyait de maintenir le même niveau d’information qu’antérieurement. En 2014, le comité d’entreprise de l’UES était mis en place.

Au cours de 3 réunions extraordinaires des membres du comité d’entreprise de l’UES Markem Imaje tenues entre octobre 2014 et mars 2015, les sociétés composant l’UES ont organisé l’information du comité sur les orientations stratégiques de l’entreprise. A la consultation sur les orientations stratégiques s’est ajoutée celle sur un projet de réorganisation du département comptabilité du groupe, qui a été présenté lors de 2 réunions début 2015.

En juin 2015, le comité d’entreprise a saisi le président du tribunal de grande instance de Valence statuant en la forme des référés, afin d’obtenir une prolongation d’1 mois du délai de consultation sur le projet de réorganisation du département comptabilité, à compter du jour où il aura émis son avis sur les orientations stratégiques de l’entreprise, à propos desquelles il n’avait pu obtenir d’informations satisfaisantes.

Débouté en première instance, le comité d’entreprise a interjeté appel. La cour d’appel a considéré que : « Si, en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu à l’article L.2323-3 du Code du travail, aucune disposition légale ne l’autorise à accorder un nouveau délai après l’expiration du délai initial.»

Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi, à l’occasion duquel une question prioritaire de constitutionnalité a été posée quant à la conformité au droit de participation des travailleurs (alinéa 8 du Préambule de la Constitution) et au droit de recours effectif (découlant de l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen) de l’article L.2323-3 du Code du travail.

  • Une QPC perdue...

Pour le comité d’entreprise, de fait, ce texte instaurait une inégalité entre justiciables puisque, selon l’encombrement du tribunal dont ils dépendent, la prorogation du délai pouvait - ou non - être obtenue avant son expiration. En effet, l’effectivité du recours ne dépend pas uniquement de la saisine, mais des diligences de la juridiction pour statuer dans les 8 jours impartis par la loi, la saisine elle-même ne suspendant pas le cours du délai préfix.

Pourtant, par décision du 7 août 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré le texte instaurant un délai préfix conforme à la constitution (1).

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel  considère que le législateur a prévu les garanties nécessaires pour que le droit à l’information du comité soit respecté, notamment par la possibilité de saisir le juge pour qu’il ordonne la communication des informations manquantes. Lequel juge doit statuer dans les 8 jours et peut proroger le délai qu’a le CE pour rendre son avis en tenant compte « dans son appréciation, du délai qui restera, après sa décision, au comité d’entreprise pour rendre son avis, afin de repousser ce délai pour que le comité puisse se prononcer de manière utile une fois l’information obtenue » (cons.10). Pour le reste, selon le Conseil, « l’éventualité, à l’occasion de certaines procédures, du non-respect des délais prévus par la loi pour des motifs tenant aux conditions de fonctionnement des juridictions ne saurait suffire à entacher celle-ci d’inconstitutionnalité. » (cons.11).

La décision du Conseil constitutionnel procédait ainsi manifestement d’une lecture littérale des textes et demeurait insatisfaisante.

L’affaire, revenue devant la Cour de cassation pour y être tranchée au vu de cette décision, a posé néanmoins d’autres questions de droit, dont la solution s’avère plus pragmatique.

  • ...mais une affaire gagnée : en l’absence de mise en place de la BDES, le délai préfix ne court pas !

Dans la présente décision, la Chambre sociale revient sur l’affaire et statue sur la question restant à trancher, relative cette fois-ci, non à la possibilité de proroger le délai, mais à son point de départ.

En l’absence de mise à disposition des informations nécessaires, le délai pour rendre un avis dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques a-t-il commencé à courir ?

Visant l’ensemble des textes dans leur version applicable à l’époque, la Haute juridiction rend finalement une sentence des plus attendues et des plus sages : « lorsque la loi ou l’accord collectif prévoit la communication ou la mise à disposition de certains documents, le délai de consultation ne court qu’à compter de cette communication ».

Par conséquent, la cour d’appel avait eu tort de débouter le comité de sa demande tendant à voir écarter l’application du délai, alors que « l’employeur n’avait pas mis à disposition la base de données économiques et sociales rendue obligatoire par l’article L.2323-7-2 du Code du travail dans sa rédaction alors applicable, ce dont il résultait que le délai de consultation n’avait pu courir ».

Le délai pour rendre un avis sur les orientations stratégiques n’était donc pas écoulé, faute d’avoir commencé à courir.

Une décision qui contrebalance bien la rigidité des délais préfix, tels qu’interprétés par le Conseil constitutionnel, et une happy end  bien méritée pour nos équipes.

L’ordonnance n°2017-1718 n’a pas modifié les textes sur ces points et le délai est toujours prioritairement fixé par accord (article L.2312-16 du Code du travail). Toutefois, le décret d’application a modifié les délais applicables par défaut. En effet, l’article R.2312-6 du Code du travail prévoit que ceux-ci sont désormais en principe d’1 mois, de 2 mois en cas de désignation d’un expert, et de 3 mois en cas d’interventions d’une ou plusieurs expertises dans une entreprise à établissements multiples. Or auparavant, ce délai pouvait courir jusqu’à 4 mois. Une évolution que la CFDT a déplorée.

 

(1)    C. Const, 07.08.07, n°2017-652.