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Harcèlement sexuel : un fait unique, une réparation double

Publié le 21/06/2017

Le harcèlement sexuel peut être caractérisé par un fait unique. Il peut également donner lieu à une double indemnisation, en présence de préjudices distincts. Cass.soc.17.05.17, n°15-19300.

  • Rappel des faits

Après avoir travaillé pendant près d’un an au sein d’une association, une salariée a démissionné, puis elle a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification de sa démission en licenciement nul. Elle soutient en effet que sa démission était motivée par des faits de harcèlement sexuel dont elle aurait été victime. Elle formule également une double demande d’indemnisation :

-          la première, sur le fondement de l’article L.1153-1 du Code du travail, pour avoir subi un harcèlement sexuel ;

-          la seconde, sur le fondement de l’article L.1153-5 du Code du travail, pour violation par l’employeur de son obligation de résultat, lequel n’aurait pas appliquée les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement sexuel.

Pour la débouter de ses demandes, la Cour d’appel retient :

-          qu’il n’est pas possible de demander des dommages et intérêts en raison du préjudice physique et moral subi en raison de faits de harcèlement moral tout en réclamant des dommages et intérêts en raison de la violation de l’obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral ;

-          qu’un fait isolé, établi par la salariée, ne peut constituer un harcèlement sexuel, lequel suppose la répétition d’agissements.

Saisie du pourvoi, la Cour de cassation a donc dû répondre à deux questions distinctes.

-          Un fait, isolé, permet-il de laisser présumer l’existence d’un harcèlement sexuel ?

-          En cas de réponse positive, la victime d’un harcèlement sexuel peut-elle obtenir une double indemnisation, en invoquant la violation de deux obligations légales distinctes ?

  • Le fait unique permet-il de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel ?

A cette première question, la Cour de cassation répond positivement.

Depuis une loi du 6 août 2012, l’article L.1153-1 du Code du travail précise « Qu’aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

Au visa des articles L.122-46 et L.122-52 du Code du travail (les faits ayant été commis en 2004) devenus les articles L.1153-1 et L.1154-1, la Cour de cassation énonce qu’un « fait unique peut suffire à caractériser le harcèlement sexuel ». Puis, après avoir constaté que la cour d’appel avait relevé « que le président de l’association avait conseillé à la salariée qui se plaignait de coups de soleil de dormir avec lui dans sa chambre, ce qui lui permettrait de lui faire du bien », la Cour de cassation retient que « la salariée établissait un fait qui permettait de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel », et censure par conséquent la cour d’appel sur ce point.

Ainsi, contrairement au harcèlement moral, qui suppose l’existence d’agissements répétés, cela n’est pas exigé en cas de harcèlement sexuel, qui peut être constitué, comme l’indique le Code du travail dans sa version postérieure à 2012, par « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle ».

Cet attendu de la Cour de cassation est à saluer : en effet, en présence d’un fait, d’une gravité importante, susceptibles de porter atteinte lourdement à la dignité et la santé de la salariée, comment aurait-on pu admettre qu’il ne puisse être qualifié de harcèlement sexuel ni sanctionné, au prétexte qu’il aurait été unique et non répété ?

  • La victime d’un harcèlement sexuel peut-elle obtenir une double réparation ?

A cette seconde question, la Cour de cassation répond également positivement.

Reprenant à l’identique la solution dégagée en 2002 au sujet du harcèlement moral (Cass.soc., 6.06.12, n°10-27694), la Cour de cassation retient que « les obligations résultant des articles L.1153-1 et L.1153-5 du Code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices distincts, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques ».

Ainsi, la victime d’un harcèlement sexuel comme celle d’un harcèlement moral, dès lors qu’elle est en mesure de démontrer l’existence de préjudices distincts, est-elle parfaitement fondée à réclamer des dommages et intérêts en raison du harcèlement sexuel dont elle a été victime, ainsi que des dommages et intérêts en raison de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité en la matière.

A nouveau, cet attendu est logique dès lors qu’il s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence dégagée au sujet du harcèlement sexuel. Le message passé aux employeurs est fort : préserver les salariés de tout risque de harcèlement sexuel est une obligation fondamentale qui fait écho au respect de la dignité et de la santé du salarié. Manquer à ce devoir expose l’employeur à de lourdes condamnations…