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Droit de retrait : dans quelle situation l’exercer ?

Publié le 19/12/2018

Certaines situations exceptionnelles sont susceptibles de mettre  les salariés en danger dans le cadre de l’exécution de leur travail. Tel est le cas des débordements récents, qui ont eu lieu en marge du mouvement des Gilets jaunes et qui ont engendré des actes de violence et de dégradation de commerces. Que prévoit le Code du travail pour les salariés confrontés à de tels événements ?

Vendeurs, serveurs, banquiers… nombreux sont les salariés qui ont été (ou qui seront) confrontés aux débordements produits en marge de la mobilisation des Gilets jaunes. Travaillant par exemple sur les Champs Elysées, certains salariés peuvent craindre des violences et des dégradations de leur commerce aux abords de la manifestation. Dans une telle situation, ces salariés peuvent-ils exercer leur droit de retrait ?

  • Les conditions d’exercice du droit de retrait 

Le Code du travail autorise un salarié à se retirer de situations dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (1). Pour cela, il doit avertir immédiatement l’employeur avant de suspendre son activité. Il peut le faire par exemple par téléphone, sms ou l’envoi d’un email. Toutefois, le salarié n’a le droit d’exercer son droit de retrait qu’à condition de ne pas créer pour ses collègues une nouvelle situation de danger grave et imminent (2).

Que doit alors faire l’employeur dans ce cas ? Le Code du travail précise que l’exercice du droit de retrait implique pour l'employeur de prendre les mesures et de donner les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs, en cas de danger grave et imminent, d'arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail (3). Le droit de retrait s’inscrit alors plus largement dans l’obligation de sécurité de l’employeur, puisqu’il peut exister des conséquences graves pour l’entreprise.

Concrètement, qu’est-ce qu’un danger grave et imminent ?

La jurisprudence a reconnu que le danger puisse résulter du matériel défectueux et dangereux (4), de la cadence de travail imposée (5) (par ex : réaliser une durée de travail journalière supérieure à la durée maximale autorisée), du risque d’agression (6)…

Dans notre cas, des violences et des dégradations de locaux de travail faisant suite aux débordements causés lors d’une manifestation pourraient tout à fait constituer une situation de danger avéré. De plus, le danger grave pour la vie ou la santé du salarié est ici susceptible de conduire à un accident grave pour le salarié : il représente pour lui une menace sérieuse.

Le danger « imminent », quant à lui, correspond à celui qui est sur le point de se produire, il est donc très proche dans le temps.

Quant au salarié, il doit simplement avoir un « motif raisonnable » de penser que la situation présente un danger grave pour sa santé ou sa vie pour pouvoir se retirer, même si le danger ne s’est finalement pas réalisé. C’est la crainte du salarié pour sa santé et sa vie, au vu de la situation, qui permet d’établir le motif raisonnable. Ainsi, les débordements violents aux abords de manifestations pouvant potentiellement conduire à des dégradations de locaux et de violences à l’égard de clients de magasins et des salariés, constituent-ils un motif raisonnable du salarié lui permettant d'exercer son droit de retrait.

Quelles sont alors les conséquences sur la relation de travail ? 

  • Les conséquences de l’exercice du droit de retrait pour le salarié

L’exercice du droit de retrait entraîne différentes conséquences pour le salarié, visant à lui garantir une certaine protection dans sa relation de travail.

- Tout d’abord, une protection est assurée au salarié. Ainsi l’employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, ne peut pas demander aux salariés ayant usé de leur droit de retrait de reprendre leur activité tant que le danger grave et imminent perdure (7).

- Ensuite, aucune sanction ne peut être infligée au salarié qui s’est retiré. Le Code du travail prohibe ainsi toute sanction disciplinaire pour le simple fait d'avoir exercé son droit de retrait (8). De surcroît, le licenciement du salarié qui a légitimement exercé ce droit est considéré comme nul (9).

- Toutefois, le salarié peut faire l’objet d’une sanction s'il a mis un collègue dans une situation de danger en n’ayant pas signalé le péril grave ou imminent pour sa vie ou sa santé (10).

Enfin, toute retenue sur salaire est en principe interdite. L’employeur ne peut agir de la sorte et doit obligatoirement maintenir le salaire du salarié qui, pour un motif raisonnable, a usé de son droit de retrait (11).

En dehors du droit de retrait, et donc du type de situations que nous venons d'évoquer, si l’absence, ou le retard, du salarié n’est pas justifié ou est abusif, la retenue sur salaire sera considérée comme licite.
Dans un tel cas, l'employeur peut réduire en conséquence la rémunération. Cette retenue ne constitue pas une sanction disciplinaire prohibée par loi, mais correspond à du temps de travail non fourni (12).

Pour aller plus loin sur les conséquences individuelles pour les salariés (difficultés d'accès au lieu de travail, baisse d'activités...), nous vous invitons à lire l'article de la Fédération des Services.



(1) Art. L.4131-1 C.trav.

(2) Art. L.4132-1 C.trav.

(3) Art. L.4132-5 C.trav.

(4) Cass.soc. 01.03.95, n°91-43.406.

(5) Cass.soc. 02.03.10, n°08-45.086.

(6) Cass.soc. 19.05.10, n°09-40.353.

(7) Art. L.4131-1, al. 3 C.trav.

(8) Art. L.4131-3 C.trav.

(9) Cass.soc. 28.01.09, n°07-44.556.

(10) Cass.soc. 21.01.09, n°07-41.935.

(11) Art. L.4131-3 C.trav.

(12) Cass.soc. 21.03.12, n° 10-21.097.