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[Enjeux] Agir face à la précarité étudiante : une urgence en Île-de-France

Publié le 09/01/2024

La crise sanitaire aura été le révélateur d’une crise systémique : dans notre région, étudiantes et étudiants sont percutés de plein fouet par la crise du logement, qui les oblige, pour pouvoir payer leur loyer, à travailler en même temps que leurs études. La précarité alimentaire s’accentue et beaucoup doivent aussi renoncer à certains soins. Tour d’horizon suite à un rapport du Ceser consacré au logement étudiant et à travers le témoignage de deux militants de terrain.

Au Crous de la faculté Jean-Monnet à Paris-Saclay. 

Partout, on observe une détérioration des conditions de vie des étudiants. Pour certains, c’est la capacité à poursuivre des études qui est menacée. Les demandes d’aide sociale pour exonération ou échelonnement des frais d’inscription, dossiers auprès du fonds d’aide d’urgence pour des placements en foyer ou habitats de jeunes par les services du Crous (Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires) connaissent une croissance exponentielle. Mahmoud Kekouche, responsable du service handicaps et accessibilité de l’université Paris-Nanterre en témoigne. « Nombre de nos étudiantes et étudiants font part de leur difficulté à s’alimenter, se loger et se soigner, faute de moyens de subsistance et de pouvoir de vivre. On constate beaucoup de détresse et une inflation de demandes du côté des services médicaux, des services sociaux et du Crous. »

Précarité alimentaire

Mis en place à la rentrée 2022 pour faire face aux conséquences de la crise du Covid, le menu à 1 euro pour les étudiants boursiers dans les restaurants universitaires a été reconduit et ouvert aux plus précaires. La demande connaît une augmentation de 35 %. La fréquentation des épiceries solidaires explose aussi. On y distribue des produits d’hygiène de base, des protections périodiques…

Christophe Joseph, militant du Sgen-CFDT du Crous de Créteil, partage quelques chiffres : « En Seine-Saint- Denis, le menu à 1 euro représente désormais plus de la moitié des passages en restaurant universitaire… Le Crous de l’académie de Créteil a fait le choix d’un engagement budgétaire important: les boursiers et les plus précaires peuvent bénéficier de 14 repas par semaine à prix réduit, de 1 euro et 3,3 euros suivant les cas. À Villetaneuse, 1 500 pasta box à tarif réduits sont vendues chaque jour en cafétéria et en libre-service. »

Sensibiliser sans culpabiliser

À l’université Paris-Nanterre, une enquête qui a recueilli plus de 5 000 réponses a permis d’établir une cartographie précise des difficultés et d’identifier 948 précaires soit 18 % des répondants ! Mais aussi 21 % d’étudiants en difficulté d’accès aux soins, 60 % en manque d’équipement informatique ou en situation de fracture numérique, et plus de la moitié exerçant un job ou un emploi étudiant pour payer leurs études…

Depuis septembre 2021, la création d’une mission précarité et le déploiement d’une quinzaine d’étudiants relais-santé (ERS) sont un début de réponse. Ces jeunes, formés aux questions de bien-être social, de santé et de conduites à risques, sont rémunérés pour une action préventive qui se déploie via des permanences ou des initiatives sur le campus. Encadrés par des enseignants en lien avec la médecine préventive, ils agissent pour
sensibiliser sans culpabiliser. « Il s’agit de lutter contre toutes les formes d’abandon du fait de situations de détresse et de précarité, car le risque, pour une population étudiante essentiellement issue des classes moyennes, c’est aussi de renoncer à l’ascension sociale, poursuit Mahmoud Kekouche. Nous sommes un peu désarmés pour faire face à toutes les demandes mais il ne faut pas se résigner. Les situations peuvent également être compliquées pour certains étudiants ressortissants étrangers, sans logement et non éligibles au système de bourses d’études. Il m’est arrivé d’en accompagner à l’hôpital Max Fourestier de Nanterre pour un hébergement d’urgence. »

Capture d’écran (45)

Logement étudiant : un paroxysme de pénurie

Le Conseil économique, social et environnemental régional vient d’émettre des propositions concrètes sur le logement étudiant. Avec un constat : une baisse de production de ces logements de 41 % en quatre ans. Majoritairement, étudiantes et étudiants sont en cohabitation ou résident au domicile familial lorsque c’est possible. De leur côté, les Crous franciliens (Créteil, Paris et Versailles) sont assaillis de demandes dont très peu sont satisfaites : la capacité est de 7,3 places pour 100 étudiants. L’avis déplore que l’objectif de production de 4 000 logements étudiants annuels du schéma régional de l’habitat et de l’hébergement 2017-2023 ne soit pas atteint et préconise un objectif minimum de création de 6 000 places par an en résidences universitaires.

Promouvoir l’égalité des chances

Dans le même temps, les étudiants expriment un fort besoin d’espaces collectifs qui doivent aussi être des lieux de vie, de lien social et d’émancipation. L’Institut Villebon Georges-Charpak à Paris-Saclay propose un hébergement et un accompagnement personnalisé à une trentaine de jeunes qui, pour de multiples raisons, n’ont pas forcément pu exprimer tout leur potentiel au lycée. Car comme le rappelle un étudiant rencontré à Paris-Saclay, " s’engager dans une année universitaire, c’est prendre le risque de s’appauvrir. Alors, il faut toujours garder en tête que c’est le diplôme qui protège de la précarité. »

 

solidaires n°541 déc2023-BD17