Prévenir les risques psychosociaux : une priorité sociale et syndicale
Depuis la crise sanitaire, la parole se libère, mais le constat demeure préoccupant : les risques psychosociaux (RPS) progressent dans le monde du travail. Stress chronique, tensions relationnelles, désengagement, épuisement professionnel… Autant de signaux d’alerte qui se multiplient dans les entreprises, et particulièrement en Île-de-France, région dense, soumise à des temps de transport élevés et à une forte intensité du travail. Face à cette réalité, l’action syndicale apparaît plus que jamais comme un levier essentiel de prévention, au-delà des seules obligations réglementaires.
Rencontre sur les risques psychosociaux, 7 novembre 2025.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon une enquête menée par le cabinet d’expertise Syndex auprès de représentants du personnel et rendue publique en septembre dernier, 70 % des élus estiment que la santé physique et mentale des salariés s’est dégradée depuis la crise du Covid. Plus inquiétant encore, 57 % déclarent avoir été confrontés à une situation de risque grave dans leur entreprise. Un diagnostic largement partagé par les élus CFDT d’Île-de-France, comme en témoigne la forte mobilisation observée lors de la matinée régionale consacrée à la prévention syndicale des RPS dans le cadre du dispositif ARC le 7 novembre dernier. « Les RPS et les troubles musculosquelettiques arrivent en tête des risques profession-nels aujourd’hui. Parmi eux, le stress constitue le danger le plus élevé, suivi des tensions relationnelles, des TMS et d’un désengagement croissant vis-à-vis de la mission de l’entreprise », expliquait à cette occasion Sylvain Girard, expert sur la santé au travail au sein du cabinet Syndex, partenaire de cette initiative.
Derrière ces constats se cachent des réalités humaines lourdes de conséquences. En 2023, l’Assurance maladie recensait près de 12 000 accidents du travail pour affection psychique. En 2024, 31 % des arrêts de travail ont été prescrits pour des motifs psychologiques, selon Malakoff Humanis. Un coût humain, social et économique élevé, qui pèse à la fois sur les salariés, les entreprises et la Sécurité sociale.
Des causes multiples, souvent imbriquées
Mais que recouvre exactement la notion de risques psychosociaux ? Dès 2011, le rapport Gollac/Bodier en proposait une définition de référence : les RPS sont « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. » Une définition large, à la hauteur de la complexité du phénomène.
Pour en faciliter l’analyse, les experts identifient six grandes catégories de facteurs de risques : l’intensité, la complexité et le temps de travail, la dégradation des rapports sociaux et des relations de travail, les exigences émotionnelles, le manque d’autonomie et de marges de manœuvre, les conflits de valeurs et la « qualité empêchée », et, enfin, l’insécurité de l’emploi et des parcours professionnels.
« Ce sont souvent les combinaisons de ces facteurs qui font émerger les RPS, parfois repérables à travers des mots ou des expressions utilisés par les salariés », souligne Sylvain Girard. Un manque d’autonomie conjugué à une charge de travail excessive, par exemple, constitue un terrain propice au stress chronique et à l’atteinte directe à la santé.
Les conséquences sont multiples : anxiété, dépression, troubles cardio- vasculaires… Dans les situations les plus extrêmes, les RPS peuvent même conduire au suicide. Le développement du télétravail, loin de faire disparaître ces risques, les reconfigure. Selon une enquête de l’Anact/Aract, 63 % des télétravailleurs estiment travailler davantage, une surcharge qui, combinée à l’isolement, peut aggraver les situations de souffrance.
Évaluer les risques professionnels : une obligation légale
Dans ce contexte, la CFDT Île-de-France rappelle un principe fondamental : l’évaluation des risques professionnels n’est pas une option, mais une obligation légale. L’article L.4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette démarche repose sur plusieurs étapes clés : identification et analyse des facteurs de risques, élaboration d’un plan d’actions, mise en œuvre et suivi dans la durée. « Sur l’espace adhérent, l’outil ARC met à disposition de nombreuses ressources, notamment des exemples de questionnaires utiles pour les premières phases de l’évaluation », a rappelé Patrick Labboz, secrétaire régional et responsable du dossier qualité de vie et conditions de travail à la CFDT Île-de-France, lors de la matinée dédiée aux RPS.
Le Comité social et économique (CSE) dispose, pour agir, d’outils réglementaires majeurs. Au premier rang d’entre eux figure le document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp), que l’employeur doit actualiser au moins une fois par an. Ce document sert de base à l’élaboration du programme annuel de prévention et du plan d’amélioration des conditions de travail. Pour de nombreux élus, y intégrer un maximum d’éléments liés aux RPS constitue souvent un levier essentiel, notamment lorsque d’autres démarches se heurtent à des résistances.
Le rapport annuel sur la santé, la sécurité et les conditions de travail (rapport SSCT) représente également un outil stratégique. Soumis à la consultation du CSE, il doit inclure des données sur les accidents du travail, les maladies professionnelles, mais aussi sur l’organisation et le contenu du travail.
De la théorie à la réalité du terrain
Sur le terrain, toutefois, la prévention des RPS se heurte à de nombreux obstacles. « Face à des situations de harcèlement moral ou de souffrance au travail, il est parfois difficile de comprendre ce qui se joue réellement. Les salariés ont peur de témoigner, l’entreprise hésite à ouvrir le dossier, et les changements de direction peuvent remettre en cause des démarches engagées », témoigne Éric Leborne, en charge des RPS chez Renault.
Dans ce contexte, les élus ne doivent pas perdre de vue leur rôle. « Nous ne sommes pas là pour nous substituer aux experts, mais pour convaincre de l’importance de la négociation et de la prévention », rappelle Christophe Héraud. Une action souvent exigeante, qui suppose de s’appuyer sur le collectif, y compris du côté des ressources humaines, lorsque celles-ci perçoivent l’intérêt commun à prévenir les situations de crise. « Il faut d’abord faire comprendre à l’employeur que l’absence de plan de prévention peut avoir des conséquences lourdes, humaines comme juridiques. Ensuite, se former est indispensable pour savoir agir, notamment en cas de harcèlement, et pour structurer les informations recueillies auprès des salariés », a ajouté Noura Ould Aklouche, élue chez Thales.
Prévenir pour transformer durablement le travail
Si le diagnostic est préoccupant, des marges de manœuvre existent. Les mesures de prévention, centrées sur l’organisation et les conditions de travail, permettent d’agir à la source des risques et d’améliorer durablement le fonctionnement des entreprises. Elles bénéficient à la fois aux salariés et aux employeurs. À ces actions de prévention primaire s’ajoutent des mesures de protection, visant à limiter les effets de situations à risques incompressibles, ainsi que des mesures de réparation, centrées sur la prise en charge individuelle des salariés en souffrance. La CFDT Île-de-France se tient à disposition des équipes syndicales pour les accompagner dans l’élaboration de plans de prévention et dans la préparation des négociations.
Zoom sur la fonction publique
Témoignages
Christophe Héraud, délégué syndical chez Technip, revient sur les difficultés à instaurer un dialogue social constructif autour des risques psychosociaux (RPS) au sein de son entreprise.
“Technip est une entreprise composée majoritairement d’ingénieurs et de cadres, globalement bien rémunérés et qui affiche de bons résultats économiques. Pourtant, la souffrance au travail est bien présente. Les situations de burn-out et les arrêts maladie se multiplient. Les causes sont souvent multiples et parfois cumulatives : une erreur sur une fiche de paie, des dysfonctionnements informatiques récurrents, une charge de travail excessive… Des problématiques que l’on retrouve dans de nombreuses entreprises.
Dans un tel contexte, on pourrait penser que le dialogue social sur les RPS serait facilité. Or, ce n’est pas le cas, malgré nos efforts et notre créativité pour porter ces sujets auprès de la direction.
Nous avons, par exemple, contribué à enrichir le document unique d’évaluation des risques professionnels et obtenu un engagement de l’employeur pour réfléchir à la mise en place d’une procédure interne de signalement des situations de harcèlement sexuel ou moral. Mais ces avancées restent insuffisantes. Par crainte, sans doute, des conséquences juridiques, l’entreprise ne reconnaît jamais sa responsabilité. Cette posture rend le dialogue extrêmement difficile, voire impossible. Elle génère également des risques psychosociaux chez les représentants du personnel eux-mêmes. Faire face à la mauvaise foi est particulièrement déstabilisant et profondément décourageant. Faute de pouvoir faire de la prévention, nous sommes contraints de déclencher régulièrement des enquêtes, des alertes pour risques graves et de missionner des experts SSCT. ”
Béatrice Missonier, Secrétaire générale du syndicat Immobilier, Chambres des métiers, Intérim (ICI) alerte sur la dégradation des conditions de travail et l’augmentation marquée des risques psychosociaux dans son secteur.
“Depuis trois mois, nous observons une dégradation très rapide de la situation des salariés. Les cas de harcèlement moral se multiplient. Nous interpellons quotidiennement les employeurs pour leur demander d’y mettre un terme, mais la majorité des échanges se font à l’oral, ce qui rend la preuve de ces situations particulièrement difficile. Les salariés des chambres des métiers sont particulièrement touchés. En raison de la baisse des financements, les sous-effectifs sont devenus chroniques et la souffrance au travail est massive. Beaucoup de salariés sont placés en mi-temps thérapeutique, mais ces préconisations médicales ne sont pas toujours respectées par les employeurs.
Dans de nombreux cas, ces tensions dissimulent des projets de restructuration ou des PSE. Certains salariés sont poussés à bout pour les inciter à partir. Les exigences augmentent, y compris envers des personnes ayant une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Par ailleurs, les militants ne disposent pas toujours des moyens nécessaires pour défendre efficacement les salariés concernés. Dans un contexte de plus en plus individualiste, ces combats syndicaux deviennent particulièrement complexes.
DES OUTILS POUR L’ACTION
Une nouvelle initiative sur les RPS sera organisée en fin d’année avec le cabinet Syndex dans le cadre du dispositif ARC. N’hésitez pas à vous abonner à notre Newsletter (en page d’accueil de notre site internet) pour vous tenir informés !
Les formations de l’IREFE
- Prévention des risques professionnels. Le Duerp est un pilier essentiel de la gestion des risques professionnels.
4 sessions de trois jours en 2026. - Agir sur les risques Psychosociaux. Situer son rôle de représentant du personnel et choisir les méthodes de diagnostic pour agir. 4 sessions en 2026.
Inscriptions : irefe.com
L’accompagnement, les ressources et les conseils de l’ARC
Ne restez pas seuls face à vos questions ! L’espace Ressources de l’ARC recense de nombreux outils, fiches thématiques, enquêtes, tracts sur le sujet, réalisés par des équipes syndicales et des structures de la CFDT.
Les RPS prennent de plus en plus de place dans la vie des équipes syndicales et les sollicitations d’accompagnement
sont nombreuses. Dans le cadre du volet Conseil de l’ARC, l’Union régionale, avec ses partenaires, est à la disposition des équipes pour des demandes particulières.
arc@iledefrance.cfdt.fr